Il y a des jours — et des nuits, bien entendu — où l'on s'ennuie. Ces moments sont bien trop nombreux selon beaucoup d'entre nous. Ces moments où l'on s'ennuie parce qu'on est en cours, parce qu'il n'y a pas cours, parce que la télé est en panne, parce qu'il ne passe rien de bien à la télé... La liste est trop longue pour qu'une seule vie me permette de la rendre exhaustive. J'espère donc ne jamais pouvoir le faire. Cela pour plusieurs raisons : cela voudrait dire soit que j'ai bâclé le travail — bien que je dispose d'un doctorat ès Alarrache, l'ennui est un sujet bien trop sérieux pour en être réduit à cela —, soit qu'il y a quelque chose après la vie, soit que je serai devenu immortel.
La présence de quelque chose après la vie — paradis, enfer, banquet d'Odin, Styx, rendez-vous chez le dentiste ou quoi que ce soit d'autre — me gênerait au plus haut point par quelques détails. Le principal d'entre eux étant qu'on y est coincé pour l'éternité. Oui, certes, si on est en enfer on l'a bien mérité, na, bien que la punition me paraitra toujours un peu sévère, mais a-t-on pensé aux malheureux qu'on condamne à perpétuité au paradis ? Certes, on nous rassure, on nous dit qu'au paradis y a plein de trucs pour s'amuser et tout... Mais même à des soirées où il y avait tout pour s'amuser, ne vous êtes-vous jamais ennuyé ? Vous comprendrez alors mon désarroi. Une seule chose pourrait me consoler : si dieu existe, je pourrai peut-être enfin avoir la réponse à la question ultime qui me turlupine depuis tant de temps — soit environ quinze minutes — : si dieu est le créateur de l'univers ou un truc du genre, il représente donc en quelque sorte le patron, le P.D.G. de la Terre. Alors pourquoi, pourquoi est-ce que dès qu'on occupe le moindre poste à responsabilité — cadre, chef d'équipe ou autre — dans une entreprise, une mairie ou n'importe quel autre truc du genre, pourquoi est-ce que nos patrons veulent toujours nous voir rasé alors qu'on montre toujours dieu, représentant ultime du sommet de la hiérarchie BARBU !
Mais bon, je dois bien avouer que ce serait une bien maigre consolation. Sans parler qu'on va surement me sortir une réponse en parabole qui me parlera d'un mec qui se laisse pousser la barbe ou d'un mec qui se la rase, laissant libre cours à quelques centaines de personnes à donner lieu à autant d'interprétations différentes de cette parabole, ce qui aboutira à dix-huit croisades, neuf guerres civiles, treize massacres, vingt-quatre kamikazes, un café l'addition.
Une chose qui m'a toujours paru inutile, c'est la réincarnation. Alors youpi, tu meurs, mais tu revis dans un corps qui n'a rien à voir, avec un caractère différent, et sans te souvenir de rien. Mais ne t'en fais pas, tu gardes toujours la même âme. Une variante à ce système existe, nous permettant de revivre quelques minutes avec tous nos souvenirs le temps de choisir une nouvelle vie, histoire d'avoir bien la haine. Ce qui me gêne le plus dans cette variante, c'est que les vies sont préécrites. Cette saloperie de destin. C'est à cause de ce genre de trucs que je préfère que les voyages dans le passé et la lecture de l'avenir soient impossibles. Le fait qu'il existe des indications mêmes minimes sur la façon dont doivent se dérouler nos vies m'exaspère au plus haut point. Quand bien même la divination nous permet de changer cette évolution normale des choses, cela voudrait tout de même dire qu'il existait une version préécrite quelque part — en plus de tous les problèmes de paradoxe que cela peut poser, vu qu'en lisant notre avenir, on devrait également lire ce qui arrivera quand on vous le dira, vu qu'on va vous le dire, mais si on lit la version modifiée, on ne dit pas la même chose, donc ce ne sera finalement pas la même chose qui se produira, etc... Remarquez, cela présente quelques avantages. Je pourrai aller demain — aujourd'hui ? — tuer mes voisins — rassurez-vous, je ne le ferai pas, ce n'était qu'à titre d'exemple, je n'irai pas me déplacer d'un kilomètre juste pour assouvir une envie de meurtre (d'ailleurs, je ne me déplacerai même pas d'un mètre, je n'aurai qu'à m'assassiner moi-même, ce sera plus pratique) —, ce ne serait pas de ma faute, c'était mon destin !
Mais l'absence de quoi que ce soit après la mort est tout aussi troublante. Le rien, mine de rien, ça fait peur. C'est pour cela que pas mal de personnes aimeraient être immortelles. Mais voilà, à force d'être immortelles, elles s'ennuient. Beh oui, déjà qu'en une vie de mortel, on s'ennuie, alors en une vie d'immortel... Alors pour changer ça, on s'invente de nouvelles occupations, genre détruire le monde — et soi avec par la même occasion. Tout simplement parce qu'il veut mourir. Il faut remarquer qu'être immortel n'empêche en rien de mourir, mais simplement force à avoir une mort non naturelle généralement dans d'atroces souffrances. Heureusement pour nous, en général un gugusse quelconque vient sauver le monde — tout ça afin de nous permettre de nous ennuyer encore quelques années jusqu'à ce qu'une maladie ou toute autre joyeuseté vienne nous emporter —, tuer le quidam immortel en question, qui se rend compte au dernier moment qu'en fait il ne veut pas mourir, parce que c'est horrible, si ça se trouve en mourant il sera envoyé en enfer, ou pire, au paradis, où il devra s'ennuyer pour l'éternité, sans possibilité de mourir pour se dérober de cette lourde astreinte. Alors il s'enfuit, et retourne s'ennuyer suffisamment pour désirer mourir. Et vous devinez alors le cercle vicieux en train de s'installer — ou si vous ne le devinez pas, je vous invite à reprendre la lecture depuis le début de ce paragraphe (il est à noter que si ça fait trois fois que vous relisez le paragraphe, vous pouvez arrêter, je crains que vous n'arriviez jamais à saisir l'immense subtilité de ce cercle vicieux). Vous vous demandez peut-être pourquoi, au lieu de détruire le monde, ils ne font pas simplement une tentative de suicide. Je n'en aie malheureusement pas la réponse, mais je pense que, soit l'immortalité donne envie de compliquer les choses, soit, comme la vieillesse, elle donne envie de faire chier le monde.
Mais je me demande ce qui peut causer une telle peur de la mort. Il est vraiment inutile de s'interroger toute la vie sur la mort : soit il n'y a vraiment rien, soit on le saura en mourant. Autant se dire qu'il n'y a rien, comme ça s’il y a quelque chose, on pourra toujours changer d'avis. La véritable question n'est donc pas qu'y a-t-il après la mort, mais plutôt qu'y a-t-il avant la vie ? En effet, cela nous ne sommes pas certains de le savoir en mourant, quand bien même il y aurait effectivement quelque chose. Mais de toute façon, s’il y a quelque chose, ça doit être aussi ennuyeux qu'ici.
Mais, étonnamment, il y a aussi des journées où on ne s'ennuie pas. Quelquefois, ces journées sont bien remplies, donc c'est logique. D'autres fois non. Alors, on s'interroge, on fouille, on enquête : qu'est-ce qui fait que cette journée n'était pas ennuyeuse ? Et, après plusieurs heures de réflexion intense, on en arrive fatalement à la seule et unique réponse qui s'impose alors : rien. Puis, satisfait de cette réponse, on va se coucher.
Voilà, tout ça pour vous dire qu'aujourd'hui encore je n'avais rien fait, mais que je ne me suis pas ennuyé. Il me reste deux jours pour finir mon programme pour le défi Prologin, et je dois trouver un nouveau scénar de JDR ainsi qu'une nouvelle idée de récit vu que le précédent est terminé. Mais bon, je sens que ça va aller, alors bonne nuit !