jeudi 16 août 2007

Le Déchu, épisode 2

La journée démarrait mal pour Matthew. Le café au bar avait été hors de prix, il pleuvait, il venait de se faire insulter par une vieille dame parce que sa coupe de cheveux était horrible et qu'il était la honte de la Nation, un camion grillait un feu rouge et fonçait sur un gosse, il venait de se faire virer de son boulot, son chat avait disparu depuis deux jours, une...

Un instant de réflexion s'imposait. Quelque chose lui échappait. C'était son problème depuis toujours, il n'avait jamais réussi à se concentrer, à peine une pensée lui venait-elle à l'esprit qu'il l'oubliait pour un autre sujet. Heureusement que sa vitesse de réflexion était infiniment plus rapide que celle de tout ordinateur — et ce n'était même pas la peine de la comparer à celle des humains. Passé une certaine quantité de réflexion à ressasser les évènements de sa mémoire sans parvenir à localiser la chose importante — réflexion qui, si elle avait été menée par l'une des créatures simple d'esprit peuplant habituellement la Terre, aurait pris l'équivalent d'une trentaine de secondes, mais, par la générosité de ses Créateurs, ne lui coûta qu'un millionième de seconde grâce à son incommensurable intelligence —, il mit finalement le doigt sur le détail qui le gênait.

Sans perdre une seconde, Matthew se jeta sur l'enfant au milieu de la route, et le poussa de toutes ses forces vers le trottoir. La journée commençait à peine et déjà il avait modifié le cours du destin. Bien qu'il ne ressente aucune intimité envers l'espèce humaine, il détestait laisser des êtres vivants mourir inutilement. Hélas pour lui, cela lui causait un conflit d'intérêts lorsqu'il sauvait la vie d'un être humain, ceux-ci étant champion dans le domaine du meurtre inutile. Il passera sûrement le reste de la journée à sauver les membres de diverses espèces animales afin d'équilibrer les choses.

Brusquement, le paysage changea. Il n'observait plus l'enfant qu'il venait de sauver, mais une surface unicolore grise à motif granulé, dont la monotonie était quelquefois interrompue par divers débris de passage. L'observation d'un meurtrier en puissance ne l'emplissait certes pas de joie, mais celle d'un paysage aussi morne était passablement ennuyeuse. Il était apparemment allongé, ou plutôt étalé contre le sol. Problème supplémentaire, il n'arrivait pas à se remettre debout, et souffrait simultanément d'une migraine, d'un mal de dos, et avait l'impression d'avoir les jambes fauchées, dans une douleur telle qu'il n'en avait plus connu depuis près de trois cents ans. Cela demanda une part non négligeable de concentration de sa part, mais il parvint néanmoins à saisir la cause du problème. Il explosa de rire. Il était toujours aussi tête en l’air. Oublier le camion qui lui fonçait dessus, c'était d'une stupidité à toute épreuve. Certes, étant donné sa vitesse, il n'aurait pu de toute façon l'éviter — du moins sans causer la mort du garçon, ce qui aurait au final rendu toute cette précipitation légèrement inutile, si ce n'était pour traverser la rue plus rapidement —, mais il avait tout de même fait preuve d'une certaine négligence, et en payait désormais le prix. Après une analyse rapide de la situation, celle-ci apparut clairement à son esprit. Le camion, voulant faire un écart pour l'éviter, s'était retourné et écrasé sur ses jambes, causant par la même une vive souffrance chez lui.

— CHAUFFARD ! Hurla-t-il, passablement énervé.

Enfin, l'immortalité dont Ils avaient cru bon de le doter présentait parfois ses avantages. Il s'agissait là d'une réelle immortalité, pas de celle qu'on peut voir dans les films, qui empêchent simplement de mourir de vieillesse, forçant ainsi à mourir dans d'atroces souffrances en étant brûlé vif, décapité, ou annihilé par n'importe quelle autre méthode, pour peu qu'elle soit incroyablement cruelle, violente et douloureuse. La sienne empêchait toute mort, pour la simple et bonne raison qu'il ne dépendait pas d'un corps. Il n'était qu'un simple amas photonique et électronique dont la disposition particulière entraînait des réactions en chaîne pouvant symboliser la « pensée » — d'une manière à peu près équivalente à la réflexion cérébrale du corps humain, mais en nettement plus rapide et sans la nécessité constante d'apports énergétiques divers. Il lui était même possible d'« emprunter » un corps d'une espèce physique, à condition que celui-ci soit en état de fonctionner. Cependant, il lui était alors nécessaire d'entretenir son corps, en le nourrissant par exemple, faute de quoi il deviendrait rapidement inutilisable. De plus, Ils n'avaient hélas pas jugé nécessaire d'ôter la réceptivité à la douleur lors de l'emprunt d'un corps.

Tout à coup, la douleur prit fin. Sa vision s'éteignit. Le vacarme alentour ne le gêna plus. C'était signe que le corps dans lequel il avait pénétré venait de sonner sa dernière heure, et que Matthew était de nouveau sous sa forme immatérielle. Une forme sous laquelle il ne pouvait effectuer aucune action, simplement se déplacer, et « ressentir » tout ce qui était autour de lui, jusqu'à « emprunter » un nouveau corps. Il ne pouvait rester longtemps sans corps, car sous cette forme il était trop facilement repérable. Il était ainsi forcé de rapidement « occuper » un nouvel espace, même si cela le gênait un peu et allait à l'encontre de son idéologie, car pour « posséder » efficacement un corps, il devait d'abord éliminer définitivement toute opposition mentale qui s'y trouvait. Mais il en allait de sa survie. Enfin pas au sens strict, étant donné son immortalité. Même Eux ne pouvaient le détruire.


Tout ce qui est créé peut être détruit ; mais Matthew, comme tous ses congénères, n'avait pas réellement été « créé ». Il était issu d'Eux. Il fut un temps où il était une infime partie d'Eux, jusqu'à ce qu'Ils jugent être trop espacés pour raisonner convenablement — le temps que le raisonnement d'une partie de Leur « corps » arrive de l'autre côté, plusieurs milliardièmes de seconde avaient été perdus. Mais aussi et surtout, cela semblait Les ennuyer. Ainsi, ils se séparèrent d'une partie d'Eux-mêmes, afin que des êtres aussi intelligents qu'Eux puissent réfléchir à leur place, sans avoir à subir l'ennui qui en résultait, tout en ne se séparant que d'infimes morceaux, afin de rester les maîtres. Du moins, c'est ce qu'on lui avait appris. À sa création, Ils avaient en effet effacé sa mémoire, et inclus ces « savoirs ». Mais il était probable que ce soit vrai — avec leur haute estime d'Eux-mêmes, Ils ne devaient pas penser nécessaire de cacher des choses, car Ils étaient de toute façon les maîtres. Grave erreur, pensa Matthew.


Il avait déjà parcouru la moitié de la planète. Tout à coup, il trouva ce qu'il cherchait. Il plongea directement sur l'animal, et s'insinua dans son esprit...

2 commentaires:

  1. UN CANICHE, UN CANICHE !!!

    RépondreSupprimer
  2. Quel être normalement constitué voudrait aller dans le corps d'un caniche ?

    RépondreSupprimer