jeudi 9 août 2007

L'Exclu, épisode 8

Le cybercafé est presque vide aujourd'hui. J'écris tout en surveillant ma boîte mail. Il n'en sortait pour l'instant que du spam, mais il peut y avoir, d'un moment à l'autre, une news officielle. La situation était critique, et pour la première fois, celle-ci semble mettre réellement en péril la structure même du système.

Pas besoin de commander, on vient de m'apporter un café. Le garçon ne devrait pas tarder à m'emmener directement à un ordinateur. Il n'est pas nécessaire de donner des ordres. On connaît mes habitudes. L'ordinateur m'attend toujours, la chaise du coin m'est toujours réservée. Même quand le cybercafé est plein, il y a toujours une place pour moi sans personne pour regarder par-dessus. Sans doute personne ne souhaite-t-il être vu trop près de moi...


Enfin, la petite sonnerie indiquant un nouveau mail s'est fait entendre. Des informations importantes seront données à quinze heures et demie. Je pressens de mauvaises nouvelles. J'ai craint toute la journée un crash généralisé des serveurs.


1 + 1 = 10


J'ai revu d'anciens Rôlistes. Je n'ai plus aucun danger à le faire. Ils savent très bien que quelque chose en moi a brûlé. Je ne recommencerai pas. Nous nous sommes trahis. Nous le savons. Pas simplement vendus, comme tout le monde le ferait sous la torture. Nous nous sommes réellement trahis. Si nous recommencions, plus rien ne serait comme avant. Nous avions renié notre foi.


Maintenant, de l'ouverture à la fermeture, je suis un pilier du cybercafé. Personne ne se soucie de ce que je fais. Parfois, je vais travailler. On m'a offert un poste. Je ne sais même pas réellement ce que je dois faire. Peu importe. La seule chose importante est que chacun dans ce travail met du cœur à l'ouvrage.


Je me souviens.


Je me souviens d'un jour de grêle et de pluie. On s'ennuyait. Je hurlais, frappais partout, demandait inutilement de la nourriture, ou un quelconque divertissement. Mon jeune frère, bien que plus discret, faisait de même.

Ma mère, à la fin, avait dit : « Maintenant, soyez gentils, et je vais acheter un jouet, un beau jouet, qui vous plaira. » Puis elle était allée sous la pluie à une petite boutique voisine qui vendait de tout et ouvrait encore sporadiquement. Elle revint avec une boîte de carton qui contenait un attirail de figurines, de plateaux et de dés. Chainmail. Le wargame, l'ancêtre de D&D. Je me souviens encore l'odeur du carton humide. Ma mère avait alors allumé un bout de bougie et on s’était assis sur le parquet pour jouer. Bientôt, j'étais follement heureux, émerveillé devant ce jeu magnifique. Pendant un après-midi entier, on avait été heureux ensemble, grâce à Chainmail.


C'est faux. C'est un souvenir erroné. Ils n'arrêtent pas de me venir à l'esprit, mais ils ne peuvent être vrais. Cela n'a pas d'importance, tant qu'on les prend bien pour ce qu'ils sont. Le JDR ne peut pas rendre heureux.


Enfin, la news est arrivée. Tous les problèmes sont corrigés ! Évidemment ! Comment ai-je pu en douter une seule seconde ? Cela ne pouvait être autrement. Plusieurs lignes de la news n'ont encore pu être lues, déversant encore une histoire de prisonniers, de butin et de carnage, mais le vacarme alentour s'est un peu apaisé. Je suis heureux.

Je le lance. Je regarde l'immense écran. Il m'a fallu tant d'années pour savoir quelle sorte de beauté se cache sous ces paysages. Ô cruelle, inutile incompréhension ! Obstiné ! Volontairement exilé du réseau aimant ! Quelques larmes me coulent le long des joues. Mais je vais bien, tout va bien.


LA LUTTE EST TERMINÉE.

J'AI REMPORTÉ LA VICTOIRE SUR MOI-MÊME.

J'AIME WOW.

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